Eric Othon, le rageur de vivre

Rencontre avec un sculpteur sur bois

Lexovien, le jeune Eric Othon démarre ses études par un CAP d’ébénisterie. Un professeur lui apprend alors les bases de la sculpture sur bois…Il exerce dix ans le métier de fabricant de mobilier normand période durant laquelle il fait ses armes en sculptant des répliques à l’identique. Par chance un jour un particulier l’invite à sculpter la façade d’un manoir normand ; l’homme s’y colle. Un gros chantier : le pressoir situé à Valsemé (route de Dives sur Mer) fait 25 m de long et dispose d’une grande largeur. Il s’agit d’orner une tour, de sculpter à même les poutres des motifs médiévaux : Eric réalise des têtes de rageurs, dits aussi engoulants, car ils avalent les moulures ; dès lors cette passion va le dévorer…

Personne ne fait cela à l’époque. Eric relève le défi. De fil en aiguilles plusieurs chantiers de ce type l’occupent et peu à peu l’activité mobilier cède le pas sur l’oeuvre architecturale. Eric s’attaque aux portes, extérieures, intérieures, elles se comptent aujourd’hui en centaine. Des portes simples ou brutes à celles – monumentales d’églises ou d’entrées avec des fenestrages gothiques. De pures merveilles… Il touche à toutes les pièces où l’on peut « mettre du style ». Travailleur solitaire, il possède pourtant une âme de compagnon : les chantiers sont longs, parfois ils s’étalent sur 3 ou 4 ans quand ce n’est pas un accompagnement de 20 ans : le chantier de la Grange aux Dimes à Ranville est en cours depuis tout ce temps… Ses outils – hormis une scie circulaire pour dégrossir les poutres (en chêne vieux rééssuyé de préférence) – sont ceux utilisés au moyen-âge : des gouges, la main et la tête.

Ses entretoises d’encorbellements, Eric aime à les peindre – avec des pigments acryliques qui rappellent les tons polychromes de l’époque – mais les clients rechignent souvent à la couleur. Eric est devenu au fil du temps « Maîstre es bestioles », imagerie médiévale oblige, où le motif de la salamandre revient souvent. Il en a réalisé des centaines aussi, de toutes tailles. « Elles sont très présentes, en Normandie entre autres, ces sculptures étaient des signes d’allégeance des nobles à François 1er : on les accrochait sur les poutres centrales des maisons, manoirs…Celle-ci dit-il en tenant la bête est peinte avec la couleur d’origine la plus utilisée dite sang de boeuf. »

Peu à peu Eric a élargi son éventail en touchant à d’autres matériaux : au bois il ajoute aujourd’hui la pierre et le métal. Son père était soudeur aussi lui a-t-il paru naturel d’intégrer le métal tant à son travail qu’à des créations plus personnelles et récentes… Eric crée des heurtoirs de toutes tailles jusqu’à l’imposante « sonnette de château » ! Là encore le bestiaire médiéval règne en maître : salamandres, serpents ornent ou se lovent en poignées…

Pour ce type de pièces, il s’inspire d’une collection régionale de ferronnerie visible au Musée de Fécamp. Mais son activité exige outre du temps, une gestion du carnet de commande assez ardue : car s’il travaille seul il doit coordonner son temps avec le calendrier de tous les nombreux autres corps de métiers intervenants sur les chantiers. Et puis la crise est passée par là…

Alors Eric a pris du temps pour lui et d’autres bestioles sont sorties de son atelier. Il les relie à l’art brut et à son travail de sculpteur médiéviste :

« Pour moi l’art du moyen-âge et l’art brut, c’est pareil : cela permet d’aller au plus près de la forme. Et puis il a cette iconographie qui est assez similaire : le bestiaire fantastique, un univers où Jérôme Bosch côtoie un Dali. Regarde ces personnages grimaçants et colorés… »

Ses bestioles faites de pièces de métal récupérées et d’assemblages de bois il les peint avec les fonds de bombes de peinture de son fils aîné, graffeur connu sous le nom d’Homek. Il leur donne des noms. Des pièces dont les taillent varient : de la simple godasse au « bloc-personnage bleu » jusqu’au totem dont l’un hommage à Amy Winehouse, qu’on se serait bien offert…Quand il les expose les gens sont surpris, les gosses enchantés – certains ont pu les voir à l’église Saint-Nicolas de Caen le week-end du 3 et 4 octobre dernier.

Eric Othon habite une ancienne bergerie qu’il a entièrement retapé et sa maison est un rêve : c’est aussi une vitrine pour son travail.
A titre indicatif voici quelques prix : pour une belle pièce ornée, comptez environ 2500 euros ; pour les portes cela dépend entre 2000 à 6000 euros ou plus et pour ses « personnages bleus » il ne sait pas encore : « je démarre alors c’est difficile de donner un prix disons environ 1000 euros, mais là encore cela dépend des pièces… »
Nous prenons congé ; pas loin dans le jardin l’un de ses cadets réalise une fresque : c’est Bob l’éponge au pochoir…la relève est assurée.

On peut voir le travail d’Eric Othon à l’atelier sur rendez-vous : à St Martin de Mailloc dans le Pays d’Auge – 02 31 63 76 14.
Il est présent aussi les premiers dimanches du mois au Grand Marché du MIN aux Hangar à Bananes de Nantes.

Le site : othon-sculpteur.tumblr.com