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vendredi 5 décembre 2025
du 21/06 au 21/09/25
 Jetée Paul-Emile Victor à Ouistreham

Lionel Sabatté : En attendant la mer

Rencontre avec l’artiste Lionel Sabatté, sur le chantier de l’œuvre “En attendant la mer”, une sculpture monumentale de 6 mètres de hauteur, commande du Millénaire de Caen. L’artiste produit deux créations pour le Parcours d’œuvres, temps fort de la belle saison sur le territoire de Caen-la-mer.
Peintre, dessinateur et sculpteur, lauréat 
du Prix Marcel Duchamp 2025, l’artiste utilise des matériaux naturels, humains, comme la poussière, les fibres et c’est nouveau, il s’attaque à la pierre de Caen pour créer une sculpture monumentale. Depuis la jetée Paul-Émile Victor sur le port de Ouistreham, échange autour du travail en cours…

Aux Arts : On vous a livré ces énormes blocs…
Lionel Sabatté : Oui, 35 tonnes de pierres de Caen !  La plus grosse pièce pèse 8 tonnes… Ce que j’aime c’est que l’on se trouve ici à la lisière de la sculpture et du dessin. Il faut trancher dedans ; je tâtonne autour des traces qui sont déjà là. Et c’est hyper agréable de découvrir la roche. Je dessine, après je sculpte. Le poisson m’est apparu sur la première pierre quand j’ai essayé de comprendre comment elle répondait. On voit ici des sortes de chouettes je ne peux pas m’en empêcher, c’est vrai (rires).

De tous les animaux que je voyais j’ai tout de suite distingué comme une énorme tête de tortue ; là on voit sa bouche et j’ai déjà taillé un peu les yeux… 
Ça fait sens. C’est génial à faire, grisant ! Ce que j’adore c’est qu’il y aura aussi des choses à voir de très prés… Ces pierres une fois empilées doivent être visibles aussi de loin… La tête de tortue ira probablement en haut, je n’en suis pas sûr. 
La grande pierre la plus lourde sera à la base. 
J’ai choisi des pierres triangulaires brutes, qui correspondent bien au site : ce delta entre le canal et l’Orne. Sur la tour on pourra découvrir des dessins sur chaque face. C’est comme des croquis au départ… Là on devine des proues ; le procédé mêle dessin, bas-relief et sculpture. C’est superbe de débuter comme ça, avec des techniques d’écriture et de recherche. Et ça fait lien : ces fossiles invitent 
à croiser le monde de la mer avec celui des humains. Ces matériaux naturels ont un lien avec l’histoire de l’humanité.

Aux Arts : C’est aussi ce qui définit votre travail…
L. S. : Oui, la matière et le vivant. Il y a l’idée du matériau qui était au fond de la mer il y a des millions d’années et qui y revient sous forme de fossiles fantastiques ou fantasmés. Avec des parts d’humains ou d’autres créatures, ces éléments se mélangent… Ça s’appelle “En attendant la mer” car la Tour de pierre de Caen pourrait retourner à la mer. J’adore voir le dessin en train de s’exprimer. D’habitude ce n’est pas le cas car je travaille à partir de “rien”. Comme pour mes chouettes construites avec des armatures en fer que j’habille avec de la paille végétale, de la terre ou autre. Ici ce n’est pas la même approche. Là je fais selon l’inspiration et 
à partir de la roche. Comme pour ce poisson qui était déjà là. Il y un mélange qui se développe ici. Notez que la tour, c’est la première forme qui nait en architecture…

Aux Arts : Comment ce matériau va-t-il évoluer ?
L. S. : Je ne sais pas vraiment ! Cette pierre s’auto-protège, elle se calcifie et change de couleur. 
Après comme on est en bord de mer je ne sais pas ; ça risque de tenir… Le choix du site a été arrêté il y a deux ans ; l’endroit me plaisait. Au départ je n’avais pas eu l’idée d’utiliser la pierre de Caen. Comme je devais faire un grand format j’ai opté pour ce matériau accessible et local avec cette idée de la roche qui retourne à la mer. De fait, cest l’endroit idéal pour développer cet imaginaire animal et marin !

Aux Arts : Vous travaillez des matières multiples et parfois insolites
L. S. : Oui, c’est vrai : j’utilise de la poussière, des ongles… Si je regarde mes différents travaux il y a en effet de tout sauf des matériaux conventionnels ! J’ai pourtant été formé avec des pratiques classiques : en sculpture sur glaise, en plâtre ou d’après modèle. Mais au moment où j’allais commencer la taille aux Beaux-Arts, j’ai bifurqué vers la vidéo. Mon rapport aux matières c’est l’histoire, un échange. Souvent c’est naturel ou humain, comme la poussière, le thé, la pierre, avec toujours un lien avec notre histoire comme les peaux mortes qui retournent à la terre. Ici d’’ailleurs je n’ai travaillé qu’avec pierres abimées car on y trouve des défauts, des fossiles… Pour un sculpteur confirmé ou classique ces pierres sont dangereuses, laissées de côté car il risque l’accident à tout moment, mais pour moi c’est bien, c’est ce que j’aime !

Aux Arts : Il y a une autre œuvre “Champ d’oiseau” qui s’installe à Caen…
L. S. : C’est un cormoran de 4 m de haut en bronze massif sous forme de strates. Il s’inscrit dans une série d’œuvres aux croisements entre arbres, vivants et concrétions géologiques.

Pratique :
Les deux sculptures de Lionel Sabatté présentées Parcours d’œuvres à Caen la mer :
– “Champ d’oiseau”, Parc Claude Decaen, à Caen
– “En attendant la mer », Jetée Paul Émile Victor, à Ouistreham
.
Pour visiter le site l’artiste : suivez ce lien, merci !
Programme complet sur le Parcours d’œuvres du Millénaire : cliquez ici